Idées.
L’urgence, pour la droite, c’est de proposer autre chose qu’une version « soft » de l’éternelle table rase incarnée par la gauche.
Pourquoi je ne dis pas merci à Mai 68 : Par Denis Tillinac.
Mardi 2 janvier 2007, par La France
//Je suis gaulliste de droite. Aucune passe ne relie ces deux qualificatifs.
Mon gaullisme ressemble à un dessin à l’encre de Hugo : un toit, quatre
murs, et un parc sur la crête austère de Colombey la forêt sombre de
Clairvaux en guise d’horizon méditatif ; une silhouette anachronique, presque
un fantôme, éveillant l’armée des ombres de Kessel entre les mailles de la
France officielle.
Le ressassement d’un songe gothique - une France d’imagerie, les preux et
les pieux des vitraux de nos cathédrales. Un héros de cape et d’épée égaré
dans un siècle peu romanesque de technos, de laborantins et d’animateurs. Un
songe, une mélancolie, les reflets d’une aventure somme toute exotique -
Carlton Gardens, Koufra, Brazzaville, le Te deum à Notre-Dame avec ces types
qui tiraient sur les toits. De Gaulle est mort en 1970. Je goûte un plaisir
de demi-solde, mêlé d’amertume, en frayant avec ceux qui l’ont soutenu ou
qui s’en réclament Debré : Messmer, Mazeaud par exemple. Plaisir littéraire
plutôt que politique, car le gaullisme sans de Gaulle, en démocratie et en
temps de paix, ça n’a guère de sens. Tout le monde ou presque se veut
gaulliste, c’est devenu le pot commun de tambouilles politiciennes
variables. Comme toujours, les néophytes sont les plus intransigeants, ils
nous concoctent une « doctrine » gaulliste qui n’a jamais habité les
neurones du Général. Toujours cette manie d’ idéologiser. Je leur préfère
les grognards qui s’en tiennent à la nostalgie d’une épopée, quitte à en
fabuler les épisodes.
Gaulliste, donc, autant dire inclassable. Mieux : : hors politique puisque la
légitimité gaullienne - Antigone contre Créon - invalide la légalité
démocratique. Mon gaullisme est un parti pris de dissidence, une apologie de
l’insoumission, le miroir d’un patriotisme offusqué par les ritournelles
politiciennes. Toutes, sans exception.
Mon coté droitier, c’est autre chose - encore que la rumination d’une
mélancolie se porte rarement à gauche. Disons qu’avant Mai68, j’étais à
droite sans le savoir ;tout juste avais-je l’intuition qu’il valait mieux
être gouverné à l’Ouest par des technos qu’à l’Est par des kapos. Un
anticommunisme rustique était mon fond doctrinal et je n’ai pas lieu de m’en
repentir. Je chimérisais un anarchisme porté sur la littérature et le
cotillon, ennemi de la société de consommation, mystique à ses heures. Je
me croyais, ou me voulais dans la peau d’un Musset venu trop tard dans un
monde trop vieux. À 20 ans, on n’aime pas le monde en l’état, on voudrait le
rebaptiser pour le moins le repeindre.
Je le trouvais trop asservi à la technique, trop mercantile, trop
prosaïque. Pourtant la « révolte » de mes frères de génération m’a indisposé.
Le mot est faible. Tout m’a déplu au printemps 1968 : le rouge et noir des
drapeaux, la niaiserie des slogans, l’intolérance des petits chefs dans les
amphis, et surtout l’absurdité des présupposés du freudo marxisme en vogue.
En gros la « culture soixante-huitarde « reposait sur trois postulats
ineptes : l’innocence du désir, la créativité de l’inconscient, le mythe de
la table rase. La « liberté « que les gauchistes opposaient à la «
répression « , je la trouvais creuse, puérile, insipide et mortifère.
Liberté est l’art - difficile de régler sa conduite sur des principes
mûrement choisis, par l’ouverture des vannes pulsionnelles. N’ayant pas
attendu l’assomption de Cohn-Bendit pour dévergonder mes copines, les
apôtres d’une « libération sexuelle » me faisaient franchement rigoler.
Bonjour tristesse de Sagan et Dieu créa la femme de Vadim avec Brigitte
Bardot à poil datent de la première moitié des années 1950 ; les « libérés
« avaient du retard à l’allumage.
Leur érotisme barbouillé de zen était lugubre ; Leur « contre-culture »
criarde et vulgaire. Toute émotion n pas poème, tout graffiti peinture, tout
bruit musique. En matière de jeux de l’esprit, je pensais comme Valéry qu’il
faut « être divin ou ne s’en point mêler ».Autant dire que le « spontanéisme »
à la mode ne pouvait en rien me séduire. Je croyais, je crois encore, aux
vertus de noces harmonieuses entre la permanence et le changement, la
tradition et l’innovation. Et puisque la guerre économique et l’évolution
des technologies nous poussent à chambouler, le recours à la tradition, me
paraît d’autant plus précieux.
Quelle tradition ? Nos sources judéo-chrétiennes et gréco latines tout
simplement. L’héritage occidental dont faisaient fi les « libertaires »
avec leurs fantasmes de « degré zéro » et de "table rase » Le degré zéro c’est
la barbarie. Donc, la tyrannie des brutes épaisses. En tant qu’approche du
bonheur l’immanentisme frôle la régression vers l’animalité. Si le bonheur
se glane sur le fil de l’instant, c’est la mémoire qui fait son sel et son
miel, Toute la mémoire, celle de la personne, de sa langue, de son pays, de
sa culture, de ses attaches spirituelles...
Près de quarante années se sont écoulées depuis ce printemps 1968, mais nous
continuons d’en payer l’addition. Elle est lourde. C’est pourquoi je m’appesantis
sur ce moment historique : Il explique à maints égards les réflexes des
droitiers de ma génération, et la quête encore bruineuse de celle qui se bouscule aux portes du pouvoir. La
« culture » dite soixante-huitarde, captive d’un fatras « libertaire «
invertébré, a engendré des calamités dans tous les domaines : la pédagogie,
les moeurs, la raison, le civisme.
Elle structure encore, si l’on peut dire, le champ mental des politiques,
des universitaires, des journalistes et des enseignants. Certes, les gauchos
d’antan ont renié leurs lubies rédemptrices, ils sont devenus des bobos
vaguement écolos dont le scepticisme a tourné au cynisme, comme un mauvais
vin tourne au vinaigre.
À ces âmes mortes, il ne reste que le réflexe de diaboliser l’autre et la
droite en fait les frais. Citoyens de droit de l’empire du Bien, ils n’ont
pas besoin d’être probes, généreux, inventifs, courageux, bons parents, bons
époux, bons amants, bons citoyens, voisins charitables. Ils sont de gauche,
ça les immunise. Tandis que le droitier doit toujours prouver qu’il n’est
pas un salaud de nanti, mijotant à l’étouffée dans son terroir, rétracté sur
ses préjugés, sans compassion pour les humbles.
N’importe quel subalterne, employé dans un ministère confessera en privé que
les dignitaires de droite sont plutôt moins odieux que ceux de gauche. Et
pour cause : on ne leur pardonnerait pas la moindre suffisance, elle
prouverait trop bien leur illégitimité foncière. Pauvre droite ! Elle a
tellement intériorisé son prétendu déficit moral qu’elle s’obstine à mendier
des brevets de respectabilité.
En sorte que sur le terrain proprement politique, elle présente les dehors
d’une gauche honteuse, réticente et apeurée plutôt qu’elle n’offre d’alternative.
C’est difficile, il est vrai, puisque aussi bien elle n’a pas dans sa besace
une dogmatique de rechange. Si elle se risque à théoriser sa différence,
elle tergiverse entre une apologie du libéralisme, qui n’a jamais fait rêver
personne, et un repli sur le conservatisme, qui la divise.
Que la France ait besoin d’un État moins coûteux, donc moins nombreux, d’un
Code du travail moins invalidant, de prélèvements moins pénalisants, d’une
bureaucratie nationale, régionale ou départementale moins pesante, le simple
bon sens l’exige. Mais à supposer qu’il soit de droite, le bon sens ne fait
rien miroiter dans le vaste ciel de l’idéal où la politique désire toujours
se ressourcer, en France plus qu’ailleurs.
Quel idéal, concilierait un libéral thatchèrien et un conservateur
churchillien La gauche ayant préempté la notion de justice, seule la notion
d’héroïsme supporterait la concurrence en termes d’altitude. Mais quelle
sorte d’héroïsme, préconiser dans une société profane ? Quelle croisade
quand « l’infidèle » est le matérialisme pour les uns, la technique pour les
autres, sans compter ceux qui tiennent l’islam - ou les États-Unis - pour
responsables de tous nos maux ?
Une droite décomplexée pourrait malgré tout sortir du bois, instruire le
procès du relativisme soixante-huitard et oser s’en prendre à la «
modernité ». Derrière ce mot d’apparence anodine, on trouve, si on les
cherche, tous les ressorts de ce nihilisme mol qui accule les ados au
suicide, les parents et les pédagos à la démission, les psychismes au
délire, les vieux au désespoir, les ego à tourner en rond comme des guêpes
dans un bocal.
Encore faut-il oser penser, au-delà des constats d’un Finkielkraut ou d’un
Gauchet, ce qui au fond est l’idéologie dominante. Rude tache. En attendant
que la jeune garde s’y attelle, les droitiers de ma sorte en sont réduits au
gardiennage des ruines. Je préférerais bâtir du neuf, mais quoi ! les murs
fondateurs s’effondrent, les toits prennent l’eau, il faut sauver les
derniers meubles de notre civilisation.
Aucun autre moyen que de prôner, contre l’air du temps, le sens de l’honneur,
de l’héritage, de l’intériorité, de la gratuité, du regret, de la pureté, du
pardon, de l’élévation, du détachement, du ludisme, du panache. Il faut
cultiver la lenteur, apprendre à être aussi inactuels que possible et se
pénétrer de la fluidité du réel.
Voilà de quoi ma droite est faite : un sentiment de dépossession qui m’incite
à préserver ce qui civilise. Sachant que depuis le Moyen Âge, c’est la
classe moyenne qui recèle les vertus sans lesquelles l’homme est un loup
pour l’homme, le goût de la liberté, l’esprit d’initiative, le refus
viscéral de l’embrigadement, c’est elle, l’histoire de l’Occident en
témoigne. Si on la prolétarise, le pire sera probable. Si elle pérennise les
ingrédients subtils qui font un être civilisé, elle a peut-être dans ses
greniers de quoi refonder un sens.
Car il faut un sens à la vie pour qu’elle ressemble à une aventure - et quel
sens, si l’on croit, comme nous y incite la philosophie « moderne »,que l’homme
n’est qu’un synthétiseur de pulsions, de signes et d’images, une « machine
désirante », une broyeuse, un ordinateur ? Aucune civilisation ne peut s’épanouir,
ou survivre, avec une telle conception à la baisse de la personne humaine.
Or, c’est tout l’héritage de la pensée de gauche,depuis Foucault et
Althusser jusqu’à Derrida en passant par Guattari et consorts. Refusons les
attendus de la « déconstruction » avant que la barbarie ne siège dans nos
esprits. Elle menace déjà nos banlieues et elle règne sur les écrans de
télévision, sur les panneaux publicitaires, partout, ou presque. Peut-être
est-il déjà trop tard. Peut-être pas, les droitiers d’ordinaire sont
pessimistes et sujets au doute. Y compris sur la pertinence du clivage.
Est-il primordial ? Irrémédiable ? Ce que l’Histoire a instauré, l’histoire
peut le défaire et la France en finirait avec ses ferments de guerre civile
; nous aurions en Occident, comme ailleurs en Occident une social-démocratie
plus ou moins adossée aux fonctionnaires et des libéraux plus ou moins
branchés sur le tertiaire. On s’en porterait sûrement mieux, à condition de
ne pas oublier le peuple. Hélas, « l’exception française » veut qu’un «
isme » rédempteur en cache toujours un autre, et que chaque scrutin nous
sorte de sa manche un marchand de bonheur, de justice, d’égalité, etc.
Méfiance, donc.
Existe-t-il un tempérament de droite ? Slama le pense. Moi aussi, avec des
réserves. Comment le repérer ? Ma droite est-elle un reflet, ou seulement l’attendu
d’une singularité ? Je ne sais.
Je préfère les auberges de campagne aux centres culturels, les virées dans
les stades aux huis dos des colloques, le velours de la féminité aux
clairons du féminisme, les affinités électives aux fraternités collectives,
le sourire de l’humour à la haine de l’engagisme, les brumes de la
nostalgie aux délires futuristes, la désinvolture à l’esprit de sérieux.
Proust à la SF, Elvis à Cantat, les méandres du doute aux certitudes
obtuses. Les Évangiles aux idéologies. Pascal à Voltaire, les intelligents
de gauche aux imbéciles de droite. Les radsocs aux racistes.
Je suis de droite en haine de cette discrimination qui m’oblige à légitimer
mes goûts et mes couleurs devant un tribunal invisible et sans merci. Je le
resterai aussi longtemps que les flics de cette magistrature indue m’accableront
au mieux de leur condescendance. En France, pour le moment et depuis belle
lurette, ils sont à l’enseigne de la gauche. S’ils viraient de bord, je
déserterais aussitôt la droite. On n’en est pas là.
À l’instant d’achever ce texte, je me demande si je ne suis pas plus «
réac » que droitier. Réac au sens précis du terme ; en réaction contre les
tendances lourdes de mon époque. Mettons qu’en moi les deux appellations
cheminent en duettistes - et tant pis si elles me cantonnent dans les
marges, on respire mieux en baguenaudant par les chemins de traverse qu’en
marchant au pas de l’oie sur les, boulevards de l’intolérance.